Histoire

Le Rouquin



"Le Rouquin" était un jeune des cités, comme on dit. Très peu de personnes connaissaient son vrai nom. Depuis très longtemps on l'appelait "le rouquin" c'est tout.
Quand il était petit, il n'aimait pas ça. Vraiment pas. Il ne comprenait pas pourquoi on l'appelait ainsi. Appelait-on les autres "le blond" ou le "brun", ou le "châtain" ? Non n'est-ce pas ? Alors...
Puis avec le temps il s'y était habitué. Il préférait même... ça faisait anonyme, ça préservait le mystère. Quelquefois il entendait les petits nouveaux demander "quelqu'un connaît son vrai nom ?". Ca le faisait sourire.

"Le rouquin" était un solitaire. Il vivait pratiquement dans la rue. Toujours à traîner (comme disait les autres locataires) dans les cages d'escaliers ou dans la cave. Il en avait fait son domaine.
Il avait bien un appartement au 6ème étage, une famille, mais il y était mal à l'aise. C'était assez petit compte tenu de toute la famille. On y était les uns sur les autres. Pas d'intimité. Les petits jouaient, couraient partout. Le bébé braillait sans arrêt. Il se sentait mieux à l'extérieur.
Il avait quitté l'école depuis longtemps. Les études ce n'étaient pas pour lui., tous ses professeurs s'accordaient au moins sur ce point. Alors pourquoi insister. Pourtant il était loin d'être bête "le rouquin", mais bon ! c'est la vie !
Le moins qu'on puisse dire c'est qu'il savait se faire respecter. Toute la cité se rappelait l'affrontement qu'il y avait eu avec le "caid" de la cité voisine. Il ne s'était pas laissé impressionné et finalement il avait remporté cette épreuve haut la main. Sans violence en plus. Chacun se demandait et se demande encore aujourd'hui comment il avait fait ? Mais depuis il avait gagné le respect de tous.

Un beau matin de janvier, alors qu'il descendait dans les caves, il entendit un gémissement à peine perceptible.
Il s'approcha doucement, évitant de faire du bruit, et là il découvrit un spectacle qui lui serra le coeur.
Un chien gisait à même le béton, la figure en sang, les pattes pleines de morsures. Il n'était pas beau à voir ce pauvre chien.
Que faire ? "Le rouquin" se gratta la tête, il était perplexe.
Puis devant le regard de panique de cette pauvre bête, il prit la décision de le sortir de là et de le soigner.
Ce ne fut pas facile, car le chien terrorisé refusait qu'on le touche. Mais "le rouquin" en avait vu d'autre. Il réussit à l'entourer d'une couverture et il le sortit de cette cave.

Juju Il connaissait un petit cabanon, où un vieil homme de la cité allait de temps en temps, en été, cultiver un semblant de jardin. Fin janvier il devait être libre.
Il décida de le transporter la bas. Il y serait en sécurité, car les autres jeunes de la cité, ne comprendraient pas.
Il savait que pour certains, les chiens n'étaient bon qu'à leur faire gagner de l'argent dans des combats atroces. Il n'aimait pas cela, il n'y avait jamais assisté, mais il laissait faire. Chacun sa vie, c'était sa politique.

Une fois qu'il eut mis l'animal en sécurité, il contacta un vétérinaire pour soigner ses blessures. Heureusement qu'en traficotant un peu dans la cité, il avait quelques "économies".
Le vétérinaire confirma l'état de santé préoccupant de la pauvre bête. Les blessures étaient profondes. Il y avait eu infection.

Tous les jours "le rouquin" les passait auprès de ce nouveau compagnon d'infortune. Il le soignait avec dévouement, lui donner ses médicaments à heure fixe, lui changeait régulièrement ses pansements. Lui parlait doucement, lui expliquait que tous les humains n'étaient pas méchants, qu'il y en avait aussi des gentils, que dorénavant il veillerait sur lui, et que plus personne ne lui ferait de mal.
Mais le chien ne se remettait pas. Il le fixait avec un regard qui contenait toute la misère du monde. "Le rouquin" avait du mal à soutenir ce regard ! Tant de pourquoi ? tant de comment ?
Il en était malade, de rage et d'impuissance.

Un matin de février il trouva le corps de son ami sans vie.
Pour lui les souffrances avaient pris fin.
Pour "le rouquin", elles ne faisaient que commencer.
Et lui, l'homme endurci qu'il était devenu, craqua. Il pleura doucement.
Il pleura sur le sort de ce petit être vivant qui n'avait connu que souffrance et qui était mort tout seul, dans le noir.
Il pleura sur lui même. Il éprouvait un tel sentiment de culpabilité pour ne pas être resté avec lui cette nuit. Pour ne pas avoir pu le sauver. Pour avoir laissé faire.
Il pleura sur le monde. Sur la méchanceté dont faisait preuve les êtres humains. Sur leur indifférence à la détresse des faibles. Sur le mépris qu'ils avaient des autres espèces.
Il pleura longtemps. Très longtemps.

Quand son immense chagrin s'apaisa, il prit doucement le corps sans vie, et alla l'enterrer sous le plus beau rosier. Il méritait bien ça.
Il resta très longtemps, immobile, devant cette tombe improvisée.
Puis il ferma la cabanon et parti.

Depuis ce jour, dans la cité tout le monde se pose la question de savoir ce qu'était devenu "le rouquin".
Personne ne l'avait revu depuis ce dimanche de février.
Où était-il ? Que faisait-il ?
C'était un mystère pour tout le monde.
Il avait tout simplement disparu.

Shalimar

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